Je travaille pour Satan (part 4)

Chapitre 4 : Quitter les Enfers

Lecteur,

Comme la majorité des gens, tu as sûrement déjà changé de boulot dans ta vie. Pas surprenant donc qu’en lisant mes dernières nouvelles de la Direction Départementale des Espèces Animales tu te sois dis : « ben si tu détestes tellement ton job, pourquoi pas partir, tout simplement ?« .

J’essaie, lecteur, j’essaie. Mais figure-toi que, dans la fonction publique, ce n’est pas juste « a) annoncer que tu te casses, b) se casser ». Ce que l’on gagne en sécurité de l’emploi, on le perd constamment en flexibilité, en transparence, en liberté matérielle et en sécurité d’esprit. Comme ton patron c’est l’Etat, il peut bien se torcher avec les pratiques « normales » dans le privé et traiter ses employés comme des petits excréments insignifiants ; après tout, qui peut contester quoi que ce soit ?

Donc oui, partir, j’aimerais bien. Mais ce n’est pas si simple.

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Voici un déroulé des évènements qui, je l’espère, saura satisfaire ta curiosité autant que mon plaisir à faire rire les autres à mes dépends :

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Après quelques mois dans l’administration, je décide que ça m’intéresse pas comme projet à long terme. Je me dit « tiens, pourquoi une vraie reconversion au moyen d’une école de formation aux métiers tech ? » (J’étais jeune, innocente et sans cheveux blancs à cette période. Pauvre petite).

Début avril, j’essaie de contacter Mme Neuneu, l’assistante sociale qui m’a été attribuée par le rectorat. Mme Neuneu est injoignable, probablement en congé maladie comme les 3/4 des assistantes sociales. Je lui écris.

Deux semaines plus tard, j’arrive enfin à la joindre. Je lui parle de mon projet pendant vingt minutes, pour qu’à la fin elle me demande « qu’est-ce que vous voulez dire par « développeur ? ». Je lui explique ce que c’est, elle trouve une idée brillante : « Ah mais pourquoi vous l’avez pas dit avant, on pourrait vous affecter à la DSI ! ».

Pour info, les personnes qui travaillent à la DSI ont les missions suivantes :

  • Installer des ordinateurs
  • Résoudre des tickets d’utilisateurs qui n’arrivent pas à configurer leur messagerie ou à brancher leur téléphone fixe

Totalement la voie royale, donc, pour découvrir le métier de dev et préparer une reconversion.

Je lui dis niet, je veux une vraie formation (pas juste prendre des cafés avec les foudres de guerre qui enculent les mouches dans le local technique). « Vous pouvez avoir une formation jusqu’à 5 heures, financées à hauteur de 200€ ! » m’annonce Mme Neuneu. Je lui réexplique mon projet, une formation intensive de 6 mois coûtant 8000 boules. Une deuxième lumière est apparue dans le bol de porridge qui lui sert de cerveau : « ah oui, il y a des campagnes pour des congés de formation, attendez je cherche la circulaire ». Elle me fait patienter tandis que je commence à googler des réponses pour l’aider. Au final elle me laisse avec des informations très nébuleuses et me conseille de ne pas partir précipitamment, comme il faut des mois pour faire une rupture conventionnelle.

Je me renseigne de mon côté sur les congés de formation ; au final il est trop tard pour monter un dossier. J’en reviens donc à la conclusion qu’en dernier ressort, il vaut mieux partir.

Je contacte ma gestionnaire, à qui je donne un autre sobriquet affectueux : Nunuche. Pour information, Nunuche est 1) nulle à pleurer, d’où son surnom et 2) à temps partiel (j’imagine que sa quotité est aux alentours de 5%, puisqu’elle ne répond jamais à mes mails et que je n’arrive à la joindre au téléphone que le mercredi matin de 10h15 à 11h). Après 7-8 coups de fil sans réponse, je lui explique que je souhaite faire une rupture conventionnelle et lui demande la procédure (dans ma tête, il fallait juste envoyer une lettre au Boss). Nunuche ne peut pas m’apporter de réponse : « je n’ai pas assez d’ancienneté sur mon poste », se défend-elle (après avoir passé 8 mois sur son poste).

J’appelle alors mon GRH de proximité, M. Teuteu. Il me donne la procédure à suivre pour une RC (c’était donc bien un courrier) et m’annonce, à ma grande joie, que vu ma situation j’ai de bonnes chances de l’obtenir. J’ai quelques questions à lui poser pour préparer mon futur entretien, genre comment on calcule l’indemnité de départ, est-ce que je peux faire un départ anticipé, qu’est-ce qu’il advient de la montagne de congés que je n’ai jamais posés … Hélas, M. Teuteu, tout RH qu’il est, ne sait pas. Il me renvoie vers Nunuche.

Le 15 mai, je remets ma demande de rupture au Directeur Général de la DDEA, M. Dugland, qui l’envoie avec un avis favorable à M. Teuteu et au grand commandant en chef du service RH (la chance me sourit enfin).

J’attends deux semaines, pas de réaction ou de proposition d’entretien comme c’est l’usage. Après un mail laissé comme d’habitude sans réponse, j’appelle Nunuche tous les jours. Parfois je tombe sur ses collègues, qui évidemment ne connaissent pas mon dossier.

Je finis par réussir à joindre Nunuche, elle me dit qu’elle n’est pas au courant que j’avais fait une demande de RC. Il s’avère que ni M. Teuteu ni le grand capitaine de la cellule RH n’ont jugé bon de transmettre le mail aux personnes en charge de me recevoir pour l’entretien. Je lui transfère le mail M. Dugland, et lui rappelle que selon la loi, l’administration a jusqu’au 15 juin pour me proposer un entretien. Quant à mes 3 questions, sans surprise, elle n’a pas de réponse et me dit qu’elle va se renseigner. J’ai quelques jours plus tard une convocation à un entretien (à la date limite du 15 juin évidemment) ainsi qu’une réponse vague à deux questions sur les 3 que je lui posais.

10° Je rappelle Nunuche pour lui demander la réponse à ma question oubliée, qui concerne mes reliquats de congés. Je lui explique que c’est compliqué de m’organiser aux niveaux personnel et professionnel sans cette réponse (en fait je suis trop gentille, je voulais éviter de partir à l’arrache en laissant tout le monde dans le caca, sachant qu’Odile est partie à la retraite et que je suis la dernière personne compétente sur son poste). La conversation avec Nunuche, qui une fois encore se déclare incapable de me répondre, se termine donc ainsi :

« Eh ben écrivez-moi un mail.

– Ben non j’ai besoin de l’information rapidement, vous pouvez pas demander à votre chef ?

– Euh, ok, je peux éventuellement lui demander … mais vous voulez pas écrire un mail ?

– Je veux bien, si c’est ce qui me permet d’obtenir ma réponse plus rapidement … mais du coup je vous renvoie le même mail que je vous ai envoyé il y a deux semaines ?

– Oui, c’est ça. »

10° Nunuche se réveille la veille de l’entretien pour me dire qu’il faut que je m’en réfère à ma hiérarchie. Mon chef n’est pas disponible pour en parler. Je ne sais donc toujours pas si je peux me faire payer une partie de mes congés pour partir plus tard et ainsi éviter de laisser un gros dossier en plan.

11° Le jour de mon entretien arrive. Après une nuit sans sommeil, j’arrive avec un plan en tête et le calcul de mon indemnité selon les textes de loi que j’ai pu trouver sur internet. Une petite dame m’accompagne cérémonieusement dans le bureau du chef de la RH, que nous appellerons M. Picsou. Elle ne dit rien mais reste aux côtés de M. Picsou pendant le rendez-vous, ce qui j’imagine participe à l’effort pour me faire sentir en infériorité. Après les rappels réglementaires et des questions sur mon projet, nous évoquons les détails de la rupture conventionnelle :

« Vous demandez donc une RC pour financer votre projet de formation ?

– Exactement.

– Très bien. Pour 8 ans d’ancienneté, vous avez le droit à un lot de stylos BIC et une carte cadeau à la FNAC d’un montant de 24€.

– Ah bon, c’est pas du tout le calcul que j’avais.

– Je vous assure que notre outil de calcul ne se trompe pas.

– Je vous crois, de toute manière j’ai fait le mien avec des informations quelque peu lacunaires, comme on ne m’a pas donné tous les éléments … (…mais bon j’avoue que ça fait un peu mal au fion quand même ? …)

– Je crois que vous ne m’avez pas compris. Vous êtes notre esclave. L’Etat, c’est moi, et je vous tiens par les couilles. Vous aurez déjà beaucoup de chance de pouvoir partir.

– Oui monsieur Picsou, c’est bien noté.

– Ah et laissez tomber pour votre formation de septembre, avec les délais habituels et les vacances du service, vous n’aurez pas de réponse avant fin août.

– Nickel ! Et du coup, mes congés, si je ne peux pas les poser ?…

– Eh bien, je vous propose de vous les enfoncer bien profondément dans votre fondement d’esclave.

– C’est parfait monsieur Picsou, je n’ai rien de ce que je demandais, comme promis. Merci pour tout.

– Il n’y a pas de quoi. Bon vent, esclave. »

Je suis donc partie victorieusement vers un avenir plus qu’incertain, raccompagnée par la petite dame qui s’est enfin souvenu qu’une personne normalement constituée se présente à son interlocuteur. Surprise, c’était Nunuche. Comme j’espérais malgré tout qu’on me dise oui, je n’ai pas eu le plaisir de lui dire tout le bien que je pensais de sa manière de travailler et de sa contribution au Service Public.

12° Quelques jours plus tard j’obtiens enfin une audience avec le DG, M Dugland. Je lui explique la situation complexe où nous étions et lui ai fait valoir le caractère opportun de retarder mon départ en me payant mes congés.

« Vous faites quoi déjà ?

– Vous savez je m’occupe de l’évaluation des personnels de zoo, on est en pleine campagne actuellement ?

– Ah ok, c’est cool. Eh bien partez mon petit, je n’ai absolument pas d’oseille à vous donner.

– Mais du coup je pars à la fin de cette semaine.

– Faites, faites. Vous me ferez un mémo pour la semaine prochaine, histoire de bien m’expliquer la procédure . Vous savez, moi, il faut qu’on m’explique comme à un enfant de cinq ans, haha. (A ce moment précis, je me retiens de rire car c’est le 3e mémo qu’il demande sur le même sujet).

– OK ben j’ai ce qu’il vous faut, mais je serai pas là la semaine pro.

– C’est bien, c’est bien. Ah la la il fait chaud non ? Bon allez je suis très occupé, à la semaine prochaine. »

Je vais donc me barrer en vacances sans demander mon reste. Evidemment, comme je suis malgré tout un bon esclave, je vais utiliser le peu de temps qu’il me reste pour briefer les filles du Cabinet, qui vont probablement écoper de mon travail (en plus du leur) quand le DG atterrira enfin. Actuellement je ne suis pas certaine qu’il ait compris les conséquences de sa propre décision, à savoir laisser vacant un poste de RH complexe pendant tout l’été, et attendre tranquillement l’arrivée d’un nouveau titulaire qui aura tout à apprendre sur le tas.

Peut-être que quelqu’un devrait le prendre par la main et lui expliquer comme à un enfant de cinq ans, mais ça ne sera pas moi. Je suis bien trop occupée à décider de ce que je vais m’acheter à la FNAC avec ma carte cadeau à 24€.

Si tu as des idées, je suis preneuse. En attendant, ciao, faut que j’efface de mon historique de navigation avant de retourner mon ordinateur du taf.

Petites fleurs et doigts d’honneur,

LCAB