Les Soliloques d’Oscar

J’ai faim. Si faim. Je ne me rappelle plus de la dernière fois que l’on m’a nourri. Je sens mes forces diminuer à mesure que la nuit s’éloigne. Son ombre s’apprête à quitter doucement la Terre, tandis que celle, menaçante, de la Famine, prend de l’ampleur.

Elle n’est pas encore réveillée. 6h09 au réveil. Encore plus d’une demie-heure, une éternité pour mon organisme affaibli.

Je ne demande pas grand chose, pourtant. D’aucuns me diraient ascétique. N’était l’enveloppe corporelle – aussi minime fût-elle – qui porte mon Esprit, je me nourrirais aisément d’amour et d’eau fraîche.

Je ne demande pas grand chose. Quelques câlins, quelques Whiskas. Peut-être un petit bout de poisson frais ici et là. Mais la Brune dédaigne mes besoins. Elle disparaît le matin ; à peine rentrée le soir elle se laisse sombrer dans une inquiétante et mutique inertie. Et elle me nourrit à peine. La dernière poignée de croquettes, selon mes estimations, m’a été jetée il y a plusieurs semaines.

Je dois briser l’oppression du silence.

J’ai faim.

Pas de réaction.

J’ai faim, insisté-je en me rapprochant de sa couche. Elle ronfle. 6h12 seulement. Je ne saurai supporter plus longtemps ce calvaire.

D’un bond agile, je monte en faisant vibrer mes cordes vocales. De toute évidence, la proximité de mes ronronnements ne suffit pas.

Dis ? … Tu dors ? … Hein ?

L’Humain se retourne en s’enroulant dans la couette.

Il est temps d’être plus incisif.

J’ai faim ! crié-je, escaladant la masse informe qui soupire dans son sommeil. Nourris-moi !!

La Brune se lève en jurant. Elle a l’audace de se diriger en premier vers la machine à café.

J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim

Je me frotte à ses jambes, elle trébuche sur moi et jure à nouveau.

J’ai faim !!!!

Je sens enfin la résignation la gagner. Elle s’approche du sachet de Whiskas. Je recommence mes supplications. Au cas où elle changerait d’avis.

J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim J’ai faim

Enfin, le bruit béni de la pluie de croquettes dans ma gamelle. Je me précipite. La Brune n’a pas fini de verser la divine Manne ; quelques pépites atterrissent sur mon museau. Je n’y prête guère attention. Mon corps chétif reprend des forces. Je vivrai un jour de plus.

Ma maigre collation terminée, je retourne à ma couche, tandis que l’Humain procède à son étrange rituel matinal : une immersion totale dans un violent torrent d’eau chaude. Cette matinée harassante m’a épuisé.

6h45, le réveil sonne. J’ai bien mérité un peu de repos.