Journal d’une chouette confinée #3

« Honnêtement, je m’en sors plutôt bien » : le quotidien simple mais créatif d’une chouette en milieu urbain.

Reportage photo.

JOUR 27. Dans l’appartement de la Chouette au Béret, les jours sont décomptés mais se ressemblent. Les bruits de circulation ont disparu dans ce quartier vivant du centre-ville.

Le jeune strigidé en jean cracra et T-shirt XXL, professeur stagiaire de son état, nous fait faire le tour du propriétaire. Cette visite pourrait être rapide (il n’y a qu’une pièce, mis à part les sanitaires), mais de nombreux détails nous invitent à méditer sur les trésors de ressource et d’ingéniosité que déploient les citadins pour survivre à cette rude période.

« Excusez le désordre », murmure la chouette. Nous trébuchons dès l’entrée sur un tote bag à l’allure suspecte. « C’est mon sac de fringues en quarantaine », explique-t-elle.

« Quand je reviens de courses ou de mes permanences au collège, je me déshabille à la porte et je prends un bain de gel hydroalcoolique. Ensuite je passe toutes mes affaires à l’eau de Javel pour désinfecter, sauf les habits évidemment. Comme j’ai la flemme de faire une lessive tous les deux jours, je les mets dans un sac et je les oublie pendant 72 heures, le temps que le virus disparaisse ».

 

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Le Sac Quarantaine.

Les fenêtres sont grandes ouvertes, offrant une vue imprenable sur la rue, les magasins déserts ainsi qu’une centaine d’appartements voisins. « On vit tous à nos balcons. Le temps s’est réchauffé et chacun prend le soleil comme il peut, faute de jardin. C’est vrai qu’il y a beaucoup de vis-à-vis, donc il vaut mieux éviter de se balader à poil… »

Les voisins s’interpellent joyeusement d’un balcon à l’autre. Deux familles ont installé des banderoles colorées. Unissant les deux côtés de la rue, elles servent aussi de moyen de communication clandestin entre les enfants, qui se font passer un seau au contenu mystérieux. Beaucoup ont rapproché chaises et fauteuils de la fenêtre pour leurs moments de détente et de lecture.

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Nous demandons à cette jeune femme très concentrée, dans un appartement en contrebas, ce qu’elle lit. « Le journal de Mickey », répond-elle. « C’est ma fille qui me l’a prêté ».

« L’ambiance est très festive », commente LCAB. « En journée, on est un peu en mode « auberge espagnole ». A 20h, c’est la folie ; tout le monde applaudit aux balcons et il y a un mec qui passe du Patrick Sébastien avec un sound system de festival. Tous les chiens du quartier s’affolent et se mettent à beugler en même temps, c’est marrant ».

La Chouette a elle-même fait tout son possible pour compenser le manque d’accès à l’extérieur : un vieux hamac Quechua est suspendu tant bien que mal à la rambarde, et un carton de déménagement tient lieu de table de jardin pour le petit-déjeuner.

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Une petite sieste s’impose dans ce hamac très cozy.

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« Le soir il y a plein de moustiques. Je me crois presque à la campagne ! »

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« Entre 9h47 et 10h03, les rayons du soleil atteignent presque le balcon. C’est magique ! »

Avec un aménagement pareil, on n’a presque plus envie de sortir, affirme la Chouette.

« D’ailleurs, c’est devenu compliqué … Avec le rayon d’un kilomètre à respecter, je ne peux même pas faire le tour du carré d’herbe le plus proche. Les berges du fleuves ont été interdites, j’ai failli me prendre un amende en m’y promenant l’autre jour. Le flic m’a dit que je n’avais pas d’excuses : il y a des petites feuilles A4 signalant l’arrêté préfectoral sur des barrières placées tous les 500m, évident quoi. Je me suis mise à pleurer et à me moucher dans mon attestation de déplacement ; il m’a laissé filer ».

Depuis, LCAB se contente principalement de balades autour du bloc et de sorties au Carrefour City. « Quand je me sens d’humeur aventurière, je pousse jusqu’au CHU. C’est très joliment éclairé la nuit, et avec un peu de chance on peut voir l’hélico décoller. »

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Les urgences du CHU, une promenade nocturne de choix.

Dehors, des voix entrecoupées d’éclats de rire résonnent. Les enfants du quartier n’ont pas de chasse aux oeufs cette année, mais leur joie inflexible perpétue l’esprit de Pâques, plein d’espoir et d’amour.

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Marie-Célestine, 9 ans et presque toutes ses dents, a décidé de fêter Pâques comme il se doit.